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Friday 4 November 2016

« To be or not to be ? »: la nécessité d’une autorisation d’exercer une action collective

Par Eleni Yiannakis

Dans l’arrêt récent, Charles c. Boiron Canada inc.[1] rendu le 26 octobre 2016, la Cour d’appel rappelle les principes régissant les demandes d’autorisation d’exercer des actions collectives. Cet arrêt est rendu dans la foulée de l’affaire Sibiga c. Fido Solutions inc.[2] qui abonde dans le même sens. 

Dans Boiron, la Cour d’appel accueille l’appel et autorise l’institution de l’action collective.  Essentiellement, l’appelante soutient que l’Oscillo, présenté comme un produit homéopathique pour le traitement de la fièvre et des symptômes de la grippe, n’est en réalité qu’un produit qui ne serait rien d’autre qu’un placebo composé à 85 % de sucrose et 15 % de lactose.  Elle se dit donc victime de fausses représentations.

La Cour d’appel conclut que le juge de première instance s’est livré à une analyse trop poussée qu’elle assimile à une étude au fond du dossier. En effet, la Cour affirme que plutôt que de vérifier si les allégations pouvaient être confirmées par les pièces, le juge de première instance s’est livré à un processus d’évaluation. La Cour rappelle qu’au stade de l’autorisation, le rôle du juge devrait se limiter à déterminer si les allégations tenues pour avérées soutiennent prima facie le syllogisme juridique proposé par la partie requérante. La Cour d’appel fait aussi un rappel concernant les principes régissant la qualité de représentant et rappelle que le seuil qui doit être satisfait est minimal.

Par contre, l’intérêt particulier de cet arrêt réside dans les commentaires émis à la fin par la juge Marie-France Bich qui remet en question la nécessité du processus d’autorisation :

[71] L’action collective (désormais régie par les art. 574 et s. du nouveau Code de procédure civile) n’est plus une institution procédurale nouvelle, elle a conquis ses galons, elle est connue et bien intégrée au processus judiciaire : a-t-on toujours besoin que la porte d’entrée soit verrouillée et doive être déverrouillée au cas par cas, de cette manière? Et, parlant de porte, le « seuil peu élevé » que décrit la Cour suprême, notamment dans l’arrêt Infineon, justifie-t-il que l’on consacre autant d’efforts et de ressources à cette pré-instance? S’il ne s’agit que d’écarter les actions manifestement mal fondées ou frivoles à leur lecture même, ne serait-il pas opportun de laisser la fonction au domaine ordinaire de l’irrecevabilité ou à celui de l’abus au sens des articles 51 et s. C.p.c. (précédemment art. 54 et s. C.p.c.).

[72] En pratique, par ailleurs, le processus d'autorisation préalable de l'action collective, dans son cadre actuel, consomme des ressources judiciaires importantes, dont la rareté s'accommode mal de ce qui paraît un déploiement d'efforts sans proportion avec le résultat atteint, qui s'obtient au prix d'un engorgement difficilement supportable. C'est également, un processus coûteux pour les parties, lent (parfois même interminable), donnant lieu à des débats qui, dans la plupart des cas, seront de toute façon repris sur le fond si l'action est autorisée et généreront encore diverses disputes interlocutoires. Et ceci sans parler du droit d'appel qui coiffe le tout, multipliant les occasions de faire durer les préliminaires, un droit d'appel que le législateur, pour d'insaisissables raisons, a récemment choisi d'élargir.

[73] L'action collective se veut un moyen de faciliter l'accès à la justice alors que, trop souvent, paradoxalement, le processus d'autorisation préalable, dans sa forme actuelle, entrave cet accès. Et lorsqu'il n'est pas une entrave, il est une formalité dont les coûts exorbitants ébranlent la raison d'être ou encore une sorte de mondanité procédurale ne permettant pas un filtrage efficace. Dans tous les cas, il engendre une insatisfaction généralisée, pour ne pas dire - et j'ose le mot - une frustration, qui résonne dans tout le système judiciaire. Certains profitent peut-être de l'affaire (on ne compte plus les dénonciations de l'« industrie » de l'action collective, nouvel avatar de l'« ambulance chasing »), mais cela ne saurait justifier le statu quo.

[74] L’on rétorquera que si les choses ont tourné ainsi, c’est que les dispositions législatives, qui reposent sur des fondements théoriquement solides, sont mal comprises ou mal appliquées. Cela est possible, je le concède, mais l’affirmation ne résout rien. Je serais de mon côté portée à dire que si la pratique, après 38 ans, n’arrive pas à donner vie à la théorie, c’est que la théorie est défaillante ou dépassée ou que le modèle qui prétend l’incarner a besoin d’être non pas simplement rafistolé ou retouché, mais carrément rénové. J’évoque plus haut la possibilité que le processus d’autorisation soit supprimé ou, mieux peut-être, intégré à l’instance elle-même, mais d’autres, avec lesquels on pourrait tout aussi bien être d’accord, suggèrent plutôt de le renforcer, pour lui donner le mordant qu’on lui a jusqu’ici refusé. Quoi qu’il en soit, il serait temps que le législateur se penche sur la question et l’on s’étonne d’ailleurs que la chose n’ait pas été au programme de la dernière réforme du Code de procédure civile.

[nos soulignés]

La question soulevée par la juge sur la nécessité d’obtenir l’autorisation d’exercer l’action collective est intéressante. La juge se fonde notamment sur les coûts significatifs et les ressources judiciaires importantes qui sont consommées dans le cadre de ces demandes d’autorisation pour remettre en question leur utilité.  

Cependant, dans le cadre de la réforme du Code de procédure civile, très peu de changements ont été apportés au régime des actions collectives. En effet, sur le fond, les critères d’autorisation sont demeurés les mêmes. Le législateur a donc choisi de conserver l’étape de l’autorisation et par conséquent une analyse des critères demeure indispensable. Ainsi, le fardeau pour obtenir l’autorisation reste avec la partie requérante qui doit convaincre le tribunal qu’elle satisfait aux critères. La proposition de la juge d’effectuer le filtrage des actions collectives par le biais de requête en irrecevabilité impliquerait nécessairement un déplacement du fardeau de preuve vers la partie intimée. Est-ce qu’un tel déplacement du fardeau serait justifié?


La question reste ouverte et il est certain qu’elle sera débattue tant par les avocats que par les juges : To be or not to be : that is the question!



[1] Charles c. Boiron Canada inc. 2016 QCCA 1716.
[2] Sibiga c. Fido Solutions inc., 2016 QCCA 1299.

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