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Friday 18 December 2015

L’aide médicale à mourir, où en sommes-nous rendus?



Par Francis Legault-Mayrand


Aujourd’hui a lieu l’audition de l’appel de la décision du 1er décembre 2015 rendue par l’honorable Michel A. Pinsonnault de la Cour supérieure déclarant inopérants les articles 26 à 32 de la Loi concernant les soins de fin de vie, R.L.R., c. S-3.0001 (la « Loi ») jusqu’à prise à effet de la déclaration d’invalidité de certains articles du Code criminel prononcée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Carter c. Canada (Procureurgénéral), 2015 CSC 5 (« Carter »).

En bref, entrée en vigueur le 10 décembre dernier, le régime québécois encadrant l’aide médicale à mourir a été déclaré inopérant par la Cour supérieure jusqu’au moment que l’invalidité des dispositions du Code criminel en conflit avec ce régime entre en vigueur. L’appelante, la Procureure générale du Québec, cherche à casser cette décision.

Cette décision a fait couler beaucoup d’encre depuis les dernières semaines et nous espérons avec ce billet jeter de la lumière sur les enjeux soulevés par cet appel par un survol de la décision sur la permission d’appeler du 9 décembre 2015 dans Québec (Procureure générale) c. D’Amico, 2015 QCCA 2058.

Commençons avec quelques mots sur la décision de première instance. Le juge Pinsonneault dans D’Amico c. Québec (Procureure générale), 2015 QCCS 5556 (« D’Amico CS »), a rejeté la demande d’injonction interlocutoire provisoire présentée par les demandeurs madame Lisa D’Amico, une personne gravement handicapée, et le docteur Paul Saba, un médecin.

Malgré sa décision que Mme D’Amico ne rencontre pas les critères pour l’émission d’une injonction provisoire interlocutoire, le juge de la Cour supérieure « suspend » les dispositions attaquées de la Loi. Il se dit en présence d’un conflit entre des dispositions fédérales (du Code criminel) et provinciales (de la Loi), toutes deux présumées valides (D’Amico CS, para. 144).

Il conclut que les dispositions fédérales ont préséance sur les dispositions provinciales en vertu de la doctrine de la prépondérance fédérale en droit constitutionnel. C’est ainsi qu’il déclare inopérantes les dispositions provinciales de la Loi « jusqu’à ce que l’incompatibilité disparaisse ». On fait bien sûr référence ici au délai octroyé dans l’affaire Carter.

Bien que le juge de la Cour supérieure ait rejeté la demande d’injonction provisoire pour la « suspension » des articles 26 à 32 de la Loi, il rend un jugement déclaratoire, lequel rend « inopérantes » ces mêmes dispositions.

Donc même si la demande d’injonction provisoire n’a pas été accordée, les demandeurs ont obtenu ce qu’il recherchait, et ce, sans les inconvénients associés à une demande d’injonction provisoire! Je fais référence ici à la durée limitée de 10 jours d’une telle ordonnance et le fardeau de prouver que les conditions d’octroi de l’ordonnance sont remplies.

Malgré cette nuance dans le jugement en première instance, la procédure d’appel est la même dans les deux cas. En effet, voici comment le juge Robert M. Mainville, J.C.A., qualifie cette décision (Québec (Procureur générale) c. D'Amico, 2015 QCCA 2058 ("D'Amico CA") :

[4]           Depuis longtemps, la jurisprudence prend pour acquis qu’un jugement se prononçant sur une requête pour l’obtention d’une injonction provisoire est un jugement qui ne peut être porté en appel que sur permission d’un juge de la Cour d’appel, conformément à l’article 511 du C.p.c. lorsqu’il estime qu’il s’agit d’un cas visé à l’article 29 du C.p.c. et que les fins de la justice requièrent d’accorder la permission.

[5]           Cependant, le jugement de première instance contient aussi des conclusions par lesquelles le juge de première instance déclare que, jusqu’à la prise d’effet de la déclaration d’invalidité des articles 14 et 241b) du Code criminel prononcée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Carter, ces articles du Code criminel rendent inopérants les articles 26 à 32 de la Loi concernant les soins de fin de vie, ainsi que l’article 4 de cette Loi, dans la mesure où les dispositions de cet article visent ou touchent l’aide médicale à mourir. Ces conclusions ne modifient pas la nature du jugement en cause qui demeure un jugement interlocutoire soumis aux prescriptions des articles 29 et 511 du C.p.c. quant à l’appel.

[6]           En effet, le jugement qui prononce de façon provisoire la suspension de l’application d’une disposition législative dont la constitutionnalité est contestée est assimilé, aux fins d’un appel, à l’injonction interlocutoire provisoire. Que cette suspension soit ordonnée par injonction provisoire ou qu’elle résulte d’une déclaration judiciaire rendue dans le cadre d’une procédure visant un remède provisoire ne change rien à la nature du jugement aux fins de l’appel. Il s’agit, dans les deux cas, d’un jugement visé par les articles 29 et 511 du C.p.c. L’appel d’un tel jugement ne peut avoir lieu sans la permission d’un juge de la Cour d’appel.

Selon le juge de la Cour d’appel, il existe un droit d’appel, car le jugement de première instance ordonne que soit faite une chose à laquelle le jugement final ne pourra remédier (D’Amico CA, para. 14; art. 29 C.p.c.). Voici ce qu’il écrit :

[16]        Ainsi, les personnes qui sont en fin de vie, qui sont atteintes d’une maladie incurable, dont la situation médicale se caractérise par un déclin avancé et irréversible de leurs capacités, qui éprouvent des souffrances physiques ou psychiques constantes, insupportables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elles jugent tolérables, ne pourront se prévaloir de l’aide médicale à mourir lors de l’entrée en vigueur de la Loi le 10 décembre 2015. Il s’agit là, à ne pas en douter, d’une « chose à laquelle le jugement final ne pourra remédier » au sens de l’article 29 du C.p.c.

[21]        Compte tenu des circonstances, l’appel doit être entendu de façon urgente.

S’oppose à cette thèse celle du juge de première instance :

[55]        Enfin, Saba souligne que tant et aussi longtemps que l’Aide médicale à mourir sera considérée comme un acte criminel au sens de l’article 241b) du Code criminel et que le consentement du patient à mourir ne pourra constituer une défense valable, selon l’article 14 du Code criminel, il est illégal pour le gouvernement du Québec de demander aux médecins de poser un tel geste de nature clairement criminelle, d’autant plus que la Loi ne leur offre aucune immunité à cet égard.

[56]        Quoique la présente Requête en jugement déclaratoire dépasse largement l’aspect criminel lié à l’Aide médicale à mourir à l’heure actuelle, le Tribunal comprend de la position du demandeur qu’à tout le moins, la prohibition recherchée de mettre en œuvre les dispositions de la Loi ayant trait à l’Aide médicale à mourir doit nécessairement couvrir la période de suspension de l’application de la déclaration d’invalidité constitutionnelle des articles 14 et 241b) du Code criminel prononcée par la Cour suprême du Canada (la « Cour suprême »), le 6 février 2015, dans l’arrêt Carter[7]. En effet, dans cet arrêt, la Cour suprême a spécifiquement suspendu pour une période de douze mois venant à échéance le 6 février 2016, la déclaration d’invalidité desdits articles. Ceux-ci demeurent donc pleinement valides et en vigueur jusqu’à cette date ou à toute date antérieure si le parlement fédéral légiférait relativement à ces deux articles en fonction des paramètres constitutionnels établis par la Cour suprême sur les aspects criminels de l’Aide médicale à mourir, le cas échéant.

[57]        Avant cette échéance, la mise en œuvre de l’acte médical létal de l’Aide médicale à mourir qui constitue l’euthanasie de l’être humain sera impossible sans risque de poursuite criminelle contre le médecin qui, en ce faisant, aura commis un acte criminel en fonction du libellé actuel des articles 14 et 241b) du Code criminel.


[65]        Il ne fait aucun doute non plus dans l’esprit du Tribunal que dès l’entrée en vigueur de la Loi, le 10 décembre 2015, tous les médecins habilités à pratiquer la médecine au Québec et, par conséquent administrer l’Aide médicale à mourir, seront directement affectés par la question soulevée par Saba quant au conflit entre la Loi et le Code criminel.

La Cour d’appel aura à trancher ce débat et à déterminer qui devra subir les inconvénients du conflit entre les dispositions provinciales et fédérales. 

La Cour d'appel dans son jugement (2015 QCCA 2138) a donné raison à l'appelante et a conclu qu'il n'existait aucun conflit entre les dispositions fédérales et provinciales. 


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