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Par David Éthier |
Dans un jugement rendu le 18 mai dernier[1], le Juge Denis Jacques, j.c.s. rejetait une demande d’autorisation pour
interroger un tiers, considérant entre autres choses que le demandeur n’avait « pas fait valoir en
quoi l’interrogatoire recherché avant instruction (… était) nécessaire »
et qu’il pourrait de toute façon « interroger toute
personne assignée à l’audience pour autant qu’il en justifie la pertinence
auprès du juge du fond ».
Quels sont donc les critères qui régissent une demande de cette nature?
Dans la décision Dubeau c. Lessard 2016 QCCS 2363, rendue le 24 mai 2016,
le Juge Louis Dionne, j.c.s. aborde la question comme suit :
[18] Dans leur Précis
de procédure civile du Québec, les auteurs Ferland et Emery rappellent que
l’interrogatoire préalable à l’instruction (art. 221 à 230) doit se dérouler
dans le respect des principes directeurs de la transparence, de la
proportionnalité, de la bonne foi et de la coopération, mais ne doit pas
devenir un procès dans le procès. Ils ajoutent que maintenant l’interrogatoire
porte sur tous les faits se rapportant au litige.
[19] Traitant
de la portée de l’interrogatoire, ils mentionnent ce qui suit :
1-1666 — D'une portée plus grande que la demande de
précisions (art. 169, al. 2), l'interrogatoire préalable permet à une partie d'enquêter sur la nature,
l'étendue et le sérieux des prétentions des autres parties. Elle peut non seulement obtenir des précisions relatives aux faits se
rapportant au litige, mais elle peut aussi poser des questions lui permettant
d'évaluer la véracité et la sincérité des allégations la concernant. Cet
exercice permet donc à une partie de circonscrire le débat et de jauger le
bien-fondé, la pertinence, la recevabilité et la légitimité de la théorie de la
cause d'une autre partie. [...]
1-1667 — La Cour
d'appel reconnaît à cet interrogatoire son caractère exploratoire et
préparatoire tout comme elle reconnaît qu'il faut faciliter l'accès à tout
renseignement pertinent (art. 20). La
divulgation de la preuve doit, selon la Cour suprême, être « complète et hâtive
», dans l'esprit du principe directeur du devoir des parties de coopération,
de transparence et de divulgation des faits et des éléments de preuve afin
d’assurer un débat loyal (art. 18 à 20). (Références omises) (Le Tribunal
souligne)
[20] L’interrogatoire préalable d’un tiers avant l’instruction vise
à permettre une plus grande divulgation de la preuve avant le procès dans le
but de circonscrire les points qui feront partie de l’instruction éventuelle
devant le juge du fond. Cette disposition doit recevoir une interprétation
large, mais ne doit pas pour autant justifier une expédition de pêche dans
l’espoir de valider de simples hypothèses, conjectures ou présomptions.
Soupesant ensuite ces facteurs, et notant que le défendeur n’avait pas été
en mesure de répondre à plusieurs questions qui lui avaient été posées lors de
son interrogatoire au préalable, le Juge Dionne fait droit à la demande et
permet l’interrogatoire de plusieurs tiers. À la fin, le Juge Dionne a donc
considéré qu’il était préférable d’alourdir quelque peu la conduite du dossier
afin d’assurer une plus grande transparence des débats; une solution qui nous
rappelle que la quête vers une justice plus efficace et expéditive doit parfois
s’accommoder d’autre objectifs importants, dont, au premier chef, la recherche
de la vérité.