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Par Francis Legault-Mayrand |
Dans Limouzin c. Side City Studios Inc., 2016 QCCA 1810 (« Limouzin »), la Cour d’appel vient baliser le pouvoir de la Cour supérieure d’émettre une mesure de sauvegarde prévue au paragraphe 158(8) CPC.
En Cour supérieure, les intimés ont intenté un recours en injonction provisoire,
interlocutoire et permanente contre les appelants afin notamment de faire respecter
des obligations de non-sollicitation de clientèles, d’employés et de
consultants. La Cour supérieure a fait droit à la demande en injonction
provisoire, laquelle fut reconduite à deux reprises.
Après l’expiration de la dernière injonction provisoire, les intimés ont
renouvelé leur demande, mais cette fois-ci sous un véhicule procédural différent
: la mesure de sauvegarde. En effet, en se fondant sur les articles 49 et 158
(8) CPC, les intimés ont demandé une mesure
de sauvegarde d’une durée de trois mois pour faire cesser la sollicitation en
question, ce qui fut octroyé par la Cour supérieure. C’est cette dernière décision qui a
fait l’objet de l’appel dans Limouzin.
Voici ce qui attire notre attention à décision de la Cour d'appel.
Malgré les arguments formulés par les parties, la Cour d’appel infirme la
décision de première instance selon une analyse qui ne repose pas sur les quatre critères
constitutifs applicables aux mesures de sauvegarde (i.e. l’urgence, l’apparence
de droit, la balance des inconvénients et le préjudice sérieux et irréparable). Plutôt,
la Cour d’appel fonde sa décision sur la nature et le rôle limité et
particulier de la mesure de sauvegarde, soit de permettre aux parties de
préparer leur dossier en vue de l’injonction interlocutoire :
[55] Néanmoins,
lorsqu’il est question de prononcer une ordonnance de sauvegarde dans le cadre
d’une instance en injonction, les références à l’article 49 C.p.c. ne me
paraissent pas opportunes. En effet, ces références laissent faussement
entendre que l’ordonnance de sauvegarde pourrait s’avérer être un remède
hybride utile en sus de ceux spécifiquement prévus au chapitre de l’injonction,
pour satisfaire les besoins des parties qui tardent à passer à l’étape de
l’injonction interlocutoire. Or, tel n’est pas le cas.
[56]
À mon avis, envisager sous ce rapport les ordonnances de sauvegarde dans
le cadre d’une instance en injonction constitue une erreur, et ce, pour la
simple et bonne raison que le Code de procédure civile prévoit tous les remèdes
applicables en cette matière.
[57]
En pareille matière, l’ordonnance de sauvegarde demeure un outil de
gestion au sens de l’article 158 C.p.c. à la seule fin de permettre aux parties
de passer rapidement de l’étape de l’injonction provisoire à celle de
l’interlocutoire.
[58]
En ce sens, la jurisprudence de la Cour sous l’article 754.2 a.C.p.c me
paraît toujours pertinente et d’application. Le mode d’emploi demeure le même.
En dépit de ce que prévoit le paragraphe 158 (8) C.p.c. relativement à la durée
maximale possible d’une ordonnance de sauvegarde valant mesure de gestion,
j’estime que dans les instances en injonction, pareille ordonnance doit être de
courte durée pour faire le pont jusqu’à l’interlocutoire. En somme, le tribunal
doit veiller à ce que la sauvegarde ne devienne pas une injonction
interlocutoire par défaut.
[59] Lorsque
le tribunal est appelé à rendre une ordonnance de sauvegarde dans le cadre
d’une instance en injonction, ce ne peut être que pour permettre aux parties de
compléter leur dossier en vue de passer rapidement à l’étape de
l’interlocutoire, après avoir accepté un protocole de l’instance respectant
les règles de proportionnalité et fixé la date de présentation de la demande en
injonction interlocutoire. Ce n’est qu’après cet exercice de gestion qu’il peut
se prononcer sur la mesure de sauvegarde recherchée.
[60] Je
suis conscient que cette voie pourra, en certains cas, se heurter à certaines
pratiques ou contraintes d’ordre administratif. Mais il s’agit de la voie qui
doit être suivie.
[61] Le
respect du droit d’être pleinement entendu doit prévaloir sur les contraintes
administratives.
[62] En
l’espèce, le jugement dont il est fait appel prononce des ordonnances de
sauvegarde qui ne peuvent être qualifiées de mesures de gestion au sens de
l’article 158 C.p.c. En raison de sa durée, ce jugement s’apparente davantage à
une injonction interlocutoire.
[63] En
acceptant de procéder comme il l’a fait, c’est-à-dire sans gérer le dossier ni
fixer l’audition de la demande d’injonction interlocutoire, le Tribunal a
compromis les droits des appelants Limouzin, Larouche et BLU. Pour ces
derniers, le résultat est lourd de conséquences. Quatre mois après
l’institution du recours, ils sont toujours contraints de suspendre leurs
activités commerciales, alors qu’ils n’ont pas véritablement eu l’occasion d’être
entendus, du moins comme ils auraient dû l’être s’il s’était agi d’une
injonction interlocutoire.
[Nos soulignements.]
Cette décision revêt d’une importance à
plusieurs égards. D’abord, elle illustre les rôles complémentaires, et non
alternatifs, des injonctions interlocutoires (incluant la provisoire) et de la
mesure de sauvegarde. Chacun a son rôle à jouer dans une instance en injonction.
Par ailleurs, nous croyons que cette
décision vient consacrer un cinquième critère pour l’octroi d’une mesure de
sauvegarde dans le cadre d’une instance en injonction, du moins implicitement.
En effet, il n’est pas suffisant d’alléguer les quatre critères constitutifs de
l’ordonnance de sauvegarde dans ce contexte. Au contraire, il faut de plus
démontrer que la nature de l’ordonnance recherchée est celle d’une mesure de
gestion visant à faire le pont entre l’injonction provisoire et l’injonction
interlocutoire.
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