Plusieurs grandes entreprises,
telles que Home Depot, Target et JP Morgan Chase, ont défrayé malgré elles les
manchettes à la suite de cyberattaques ayant permis de leur dérober des
informations confidentielles sur leurs clients. Par-delà l’inévitable dommage
commercial qu’entraîne une telle attention médiatique, ces entreprises doivent-elle
indemniser les clients dont les informations personnelles risquent de se
retrouver sur le marché noir du monde numérique ?
Dans l’affaire Sofio c. Organisme canadien de réglementation du commerce des valeursmobilières (OCRCVM), 2015 QCCA 1820, un employé de l’OCRCVM a perdu un
ordinateur portable qui contenait les données personnelles des clients de certaines
firmes de courtages. Cette perte est d’autant plus problématique que les données
en question n’étaient protégées par aucun mécanisme cryptographique.
M. Sofio a demandé l’autorisation
d’exercer un recours collectifs au nom des personnes dont les renseignements
personnels ont été perdus. Selon le juge de première instance, l’honorable
André Prévost, le stress et les autres inconvénients que prétend avoir subis M.
Sofio, et pour lesquels il réclame une somme forfaitaire de 1000$ en dommages
compensatoires, ne constituent pas un préjudice indemnisable. Le juge Prévost
refuse donc d’accorder l’autorisation d’intenter un recours collectif, estimant
que le critère de l’article 1003 b) C.p.c.
n’est pas rempli.
M. Sofio se pourvoit contre cette
décision, arguant que le juge de première instance s’est saisi du fond du
litige en évaluant la nature et l’étendue du préjudice effectivement subi plutôt
que de s’en tenir à déterminer si, prima
facie, le préjudice allégué paraît justifier les conclusions recherchées.
Dans un arrêt rendu le 6 novembre
2015, la Cour d’appel rejette les prétentions de l’appelant. Elle s’exprime
ainsi :
[20] Le
juge considère les faits allégués. Même tenus pour avérés, il estime prima facie que, malgré la faute de
l’Organisme, l’appelant n’a pas établi l’existence d’un préjudice moral
tangible et susceptible de compensation monétaire. Il conclut certes à des allégations
démontrant l’existence de contrariétés, sans pour autant y voir là un préjudice
compensable au sens de l’arrêt Mustapha
c. Culligan du Canada Ltée.
[21] Nul
n’est besoin de dire qu’une faute ne cause pas ipso facto un préjudice, même moral. Il en est de même de la perte
fautive de renseignements personnels bien qu’elle soit susceptible de porter
atteinte au droit à la vie privée des victimes.
Il faut bien comprendre qu’en
général, la majorité des personnes dont les informations confidentielles sont
subtilisées ou perdues ne subiront néanmoins aucune perte financière (tout
comme le requérant en l’espèce). Aussi les jugements tant de la Cour supérieure
que de la Cour d’appel sont-ils sous-tendus par le principe bien établi selon
lequel la simple appréhension d’un éventuel préjudice futur ne peut donner lieu
à une indemnisation. Ensuite, il faut noter que le jugement de la Cour d’appel
est profondément dépendant des faits de l’espèce et de la formulation des
allégations de la demande d’autorisation, comme en témoigne la mise en garde
suivante de la Cour d’appel, laquelle vient immédiatement limiter la
portée de ses propos:
[25] Ce
n’est pas dire, précisons-le, qu’en matière de perte ou de vol de
renseignements personnels, dans un contexte comme celui de l’espèce ou celui de
l’affaire Zuckerman, il n’y aurait de
préjudice indemnisable que si la perte ou le vol en question entraîne de facto l’usurpation ou la tentative
d’usurpation de l’identité du requérant ou la commission d’une fraude ou
tentative de fraude à son endroit. Ce n’est pas le cas. Le problème, en
l’espèce, tient cependant au fait que les allégations de la requête en
autorisation, tenues pour avérées, ne révèlent tout simplement pas de
préjudice, même simplement moral : on invoque un stress dont la nature,
l’ampleur, l’intensité ou les effets ne sont nullement détaillés et l’on décrit
comme un préjudice des activités de vérification tout à fait routinières et
habituelles, voire banales, chez la personne raisonnable qui est titulaire d’un
compte bancaire ou détient une carte de crédit ou de débit. (nous soulignons)
Ainsi, il
faudra suivre le cheminement des affaires Zuckerman
c. Target Corporation, 2015 QCCA 1809, et Larose c. Banque Nationale du Canada, 2010 QCCS 5385, pour en
apprendre davantage sur l’indemnisation du préjudice découlant de la perte ou
du vol de données confidentielles.
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