Selon la Cour d’appel dans Weinberg c. Cinar Corporation, EYB 2006-110192 (c.a.), « critiquer la conduite d'un avocat dans un jugement est, pour un
juge, une affaire des plus délicate et rarement nécessaire pour trancher le
litige qui lui est soumis ».
Toutefois, dans la foulée de l’adoption du régime de l’article 54.1 et
ss. de l’ancien Code de procédure civile
et du nouveau Code de procédure civile qui
met à l’avant plan le devoir du tribunal d’assurer la saine gestion des
instances, nous constatons que les jugements critiquant la conduite procédurale
des avocats sont et seront de plus en plus fréquents.
Or, la question suivante se pose : l’avocat critiqué sur sa
conduite dans un jugement peut-il lui-même, personnellement, en appeler de ce
jugement à la Cour d’appel ?
Cette question a été répondue il y a longtemps dans le cas où l’avocat
est sanctionné dans les conclusions du jugement, par exemple une condamnation
au dépens ou la formulation d’une réprimande à son endroit. Sur permission,
l’avocat pourra en appeler de ce jugement (voir par exemple, Droit de la famille - 1777, [1994] R.J.Q.
1493 (C.A.)).
Récemment, en novembre 2015, dans
l’affaire Droit de la famille - 152870, la question s’est toutefois
posée de savoir si une avocate, critiquée dans le cadre d’un jugement de
première instance, mais pas sanctionnée dans les conclusions, pouvait elle-même
porter en appel ce jugement afin de faire radier les paragraphes la concernant.
En effet, la cliente de l’avocate avait décidé de ne pas porter la cause en appel.
La Cour d’appel a répondu par la négative à cette demande de l’avocate :
[26] L’appel
est réservé aux parties au procès en première instance (art. 492 C.p.c.); le texte de la loi est
clair « ne [laissant] aucune place à une interprétation quelconque ».
Me Goldwater était
l’avocate de Mme W...; elle n’était pas partie au procès à quelque titre que ce
soit et les conclusions du jugement du 22 juillet 2015 ne la visent pas.
[27] Le jugement ne comporte aucune conclusion pécuniaire (par
exemple, lorsque le juge condamne l’avocat, seul ou avec son client, aux dépens
ou à des dommages) ou autre (par exemple, une réprimande) contre Me Goldwater.
[…]
[31] Me Goldwater n’est pas dans une
situation tellement différente de celle du bijoutier de renom dont le juge,
saisi du recours d’un assuré contre son assureur pour recouvrer la valeur d’un
bijou acheté quelques années auparavant auprès de ce même bijoutier au prix de
75 000 $, conclut que le bijou est un faux dont la valeur réelle ne dépasse
pas 1 500 $ et qui réduit l’indemnité d’assurance à ce montant.
[32] Ou
encore du témoin expert dont le juge critique sévèrement le travail et
l’éthique de travail, avant de conclure qu’il préfère s’en remettre à l’avis du
témoin expert de la partie adverse, et qui tranche en conséquence le recours
dont il était saisi.
[33] Tant
le bijoutier de renom que l’expert risquent de voir leur réputation ternie par
les propos du juge à leur endroit, et peut-être même, dans le cas du premier au
moins, s’exposer à un recours en dommages, mais cela ne leur confère pas pour
autant la qualité requise pour faire appel au sens de l’article 492 C.p.c.
La Cour d’appel conclut son analyse en écrivant que
si l’avocate estime avoir été traitée injustement par le
juge, elle a peut-être un recours à faire valoir, mais ce n’est pas celui de
porter en appel le jugement dont les parties sont satisfaites.
La Cour
d’appel demeure toutefois silencieuse sur le recours qui serait à la
disposition de l’avocate. La Cour d’appel référait peut-être au recours prévu à
l’article 489 de l’ancien C.p.c. (aujourd’hui l’article 349) qui permet à un
tiers dont les intérêts sont touchés par un jugement de demander la
rétractation d’un jugement par voie de tierce-opposition.
Si c’est le
cas, se pose toutefois la question de savoir si l’avocate est effectivement un
tiers au sens de l’article 349 C.p.c. En effet, l’avocate a participé à la
première instance et elle a sûrement eu l’occasion d’être entendue par le juge
sur sa conduite procédurale (le jugement est silencieux sur cette question). Bref,
il ne s’agit pas de la situation typique visée par l’article 349 C.p.c. Également,
se pose la question de savoir si les intérêts de l’avocate sont touchés dans la
mesure où aucune conclusion du jugement ne la concerne. Est-il vraiment
question ici d’un cas de rétractation du jugement ?
Nous
comprenons l’arrêt rendu dans Droit de la famille - 152870 puisque l’article 492 de l’ancien C.p.c.
(maintenant l’article 351), qui régit le droit d’appel, laissait bien peu de
marge de manœuvre à la Cour d’appel. Toutefois, cette analyse conduit à un
résultat qui, dans certaines circonstances, peut être inéquitable pour l’avocat
visé.
Par exemple, dans Weinberg c. Cinar
Corporation, invoqué plus haut, la Cour d’appel s’est penchée sur les
commentaires sévères d’un juge à l’endroit d’un avocat formulés dans son
jugement alors que le jugement ne comportait pas de conclusions le concernant.
Le juge de première instance y indiquait notamment que la conduite de l’avocat
pouvait constituer une violation au Code
de déontologie des avocats. La Cour d’appel a pu se saisir de la question
car c’est le client de l’avocat qui a présenté la requête pour permission d’en
appeler. Ainsi, les avocats dans les affaires Droit
de la famille - 152870 et Weinberg
se trouvaient dans la même situation, mais un seul (par l’intermédiaire de son
client) a eu l’opportunité de faire casser en appel les reproches à son
endroit. Voir aussi : Aluminerie Alouette
Inc.
c. Les constructions du Saint-Laurent
Ltée, 2003 CanLII 10112 (QC CA), par. 62-63.
De plus, l’analyse
de la Cour d’appel dans Droit de la famille - 152870 fait en sorte que le droit d’appel de
l’avocat relève de la seule décision du juge de première instance de le sanctionner
ou non dans les conclusions de son jugement. Ceci pourrait donc inviter un juge
de première instance à s’abstenir de sanctionner un avocat dans les
conclusions, tout en le critiquant sévèrement dans le cadre de son jugement,
afin d’éviter un appel sur cette question. À cet effet, nous référons à la
cause Caisse Desjardins
des Métaux Blancs c. Langlois,
2012 QCCS 1443.
Dans
cette affaire, le juge a critiqué un avocat au motif qu’il aurait dû savoir que
le moyen de défense qu’il a fait valoir au nom de ses clients était frivole. Le
juge écrit au paragraphe 11 de son jugement que plutôt que de condamner celui-ci
personnellement aux dépens, « ce qui ne ferait que donner ouverture à
l'appel et qui serait inutile », il demande au procureur de la
demanderesse de transmettre le présent jugement au syndic du Barreau pour que
celui-ci donne suite aux actes posés par l’avocat.
Du strict point de vue de l’article
351 C.p.c. (anciennement l’article 492), nous convenons que l’avocat des défendeurs ne
bénéficie pas d’un droit d’appel qui lui serait propre. Tout de même, dans de
telles circonstances, il nous appert que l’ouverture au droit d’appel de
l’avocat devrait ou pourrait être assouplie.
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