![]() |
Par Peter Kalichman |
Dans
un jugement rendu le 24 mai 2016, la Cour d’appel a accueilli l’appel d’un
jugement de la Cour supérieure ayant rejeté une requête en rejet. La décision
dans Bérubé c. Lafarge Canada inc., 2016 QCCA 874, met en relief l’approche
distincte qu’un tribunal doit adopter lorsqu’on recherche le rejet d’une
poursuite-bâillon.
Dans
le contexte du dossier de la pyrrhotite, l’appelant, M. Bérubé, qui a témoigné en
tant qu’expert dans un premier procès (le jugement phare) et qui par la suite a
été engagé par plusieurs parties dans le contexte d’un deuxième procès, a été
appelé en arrière-garantie par Lafarge Canada inc. et Marie De Grosbois
(« Lafarge »). Lafarge
reproche à M. Bérubé une faute extracontractuelle commise dans l’exécution d’un
mandat d’analyse qui lui avait été confié par l’une des compagnies ayant
fabriqué le béton vicié. Ces dernières n’ont pas poursuivi M. Bérubé.
M.
Bérubé prétend que le but du recours récursoire de Lafarge est de lui disqualifier
en tant qu’expert. Il présente donc une requête en rejet fondée sur les
articles 54.1, 165(4), 216, 270 et 273.1 C.p.c. Le juge de première instance
estime qu’il est impossible de statuer de façon définitive sur la
responsabilité de M. Bérubé à ce stade des procédures. Dans le contexte de son
analyse, le juge de première instance refuse de tenir compte de divers éléments
factuels présentés par M. Bérubé, dont des extraits de témoignages rendus lors
du procès qui a donné lieu au jugement phare.
La
Cour d’appel conclut que le juge de première instance a erré dans l’exercice de
sa discrétion de ce que constitue l’exercice excessif ou déraisonnable d’un
droit. La Cour reconnait qu’en général les tribunaux doivent agir prudemment
lorsqu’ils sont saisis d’une requête pour rejet en vertu de l’article 54.1
C.p.c. et ne doivent pas mettre fin prématurément à un recours sur une preuve
partielle ou sommaire. Cependant, dans un passage qui risque d’être reproduit à
maintes reprises dans le futur, la Cour explique que :
[25] Dans les cas où l’on allègue être en
présence d’une poursuite-bâillon, la prudence doit céder le pas à la vigilance
du juge qui doit accorder préséance à la volonté du législateur qui est de
remédier à l’effet bâillon.
La
Cour conclut que le juge de première instance a erré en refusant de considérer
les éléments factuels que M. Bérubé avait présentés dans un but de donner un portrait
global de la situation et de démontrer que le recours était bel et bien une
poursuite-bâillon. Pour la Cour, une telle analyse approfondie est nécessaire
puisque « le jugement au fond ne pourra remédier à l’effet bâillon de
la poursuite ».
Après
avoir analysé les éléments factuels que le juge de première instance a écartés,
la Cour conclut que M. Bérubé a réussi à démontrer, de façon sommaire, que
la poursuite était abusive ou qu’elle avait pour effet de le bâillonner. Il est
intéressant de noter que parmi les éléments dont la Cour soupèse dans son
évaluation des remèdes possibles est l’impact que l’action récursoire aura sur
le déroulement du procès et sur les défendeurs pour qui M. Bérubé agit
comme expert.
[67] (...) il faut également tenir compte du
fait que si la mise en cause forcée de Bérubé se poursuit, cela risque fort de
faire dérailler ou, à tout le moins, de retarder grandement non seulement le
recours récursoire principal, mais aussi la deuxième vague des dossiers de la
pyrrhotite. Les entrepreneurs, qui pouvaient compter sur leur expert depuis le
début des procédures, perdront ses services et devront recourir à un autre
expert, et cela, bien inutilement. Et cela aura aussi comme conséquence de faire
attendre encore davantage des centaines de demandeurs qui ont bien besoin de
voir leurs recours aboutir.
No comments:
Post a Comment