Par Suzie Bouchard
Dans
un arrêt du 19 août 2016[1],
la Cour d’appel, infirmant les décisions de la Cour du Québec et de la Cour supérieure,
rétablit la compétence de la Commission d’accès à l’information (la
« CAI » ou la « Commission ») quant à une demande d’accès à
des renseignements personnels formulée dans le cadre d’une relation de travail.
L’Honorable juge Saint-Pierre confirme que
l’arbitre de griefs n’a compétence pour appliquer la LPRPSP que lorsqu’il est
« valablement saisi d’un grief qui se rattache à l’application ou
l’interprétation de la convention collective »[2].
À l’origine de cette affaire,
le mis-en-cause avait demandé à son ancien employeur de lui communiquer des
extraits de son dossier personnel en vertu de l’article 27 de la Loi sur la protection des renseignements
personnels dans le secteur privé[3]
(la « LPRPSP »). Cette demande survenait un an après la signature d’une
transaction entre les parties, réglant de façon définitive un grief pour
harcèlement psychologique déposé deux ans auparavant par le mis-en-cause. La
demande d’accès visait le dossier constitué par l’intimée dans le cadre de son enquête
sur ce grief, notamment l’expertise médicale obtenue au soutien de cette
démarche.
L’employeur ayant refusé
l’accès, le mis-en-cause a d’abord soumis à la CAI une demande d’examen de
mésentente en vertu de l’art. 43 de la LPRPSP. L’intimée soulevait alors, au
surplus de moyens de défense substantifs fondés les articles 39(2) et 40 de la
loi, un moyen préliminaire contestant la compétence de la CAI au profit d’une
compétence exclusive de l’arbitre de griefs.
S’attribuant compétence
exclusive pour déterminer l’issue de la mésentente, la CAI accueille la demande
d’accès de l’employé dans sa majeure partie. La conclusion au regard du moyen
préliminaire est toutefois renversée par la Cour du Québec siégeant en appel de
la Commission. Le juge de la Cour du Québec estime que la Commission s’est
méprise dans son interprétation de
l’arrêt Hydro-Québec[4],
lequel confère, selon lui, une compétence exclusive à l’arbitre de griefs pour
tout litige envisagé par la convention collective. Ce raisonnement est entériné
par la Cour supérieure en révision judiciaire. Notons que l’application de la
norme correcte dans le cadre de la révision ne fait l’objet d’aucun débat.
Saisie strictement du moyen
préliminaire, la Cour d’appel accueille l’appel de la CAI et conclut à une
compétence concurrente des instances administratives concernées. Elle estime
qu’en l’espèce cette compétence a été valablement exercée par la Commission et
que la décision doit donc être renvoyée à la Cour du Québec afin que celle-ci
se penche sur les autres moyens d’appel que lui avait soumis l’intimée.
L’Honorable juge St-Pierre
(j.c.a.) procède d’abord à quelques remarques préliminaires qui, bien qu’elles
ne fondent pas directement ses conclusions, viennent appuyer son raisonnement.
Elle rappelle que la LPRPSP protège des droits fondamentaux, dont la vie
privée, la dignité et l’autonomie, et jouit conséquemment d’un caractère
quasi-constitutionnel. Cet objectif législatif
semble déjà militer en faveur d’une compétence partagée de l’arbitre de griefs,
sa compétence exclusive ne se présumant pas quant à l’application d’une loi
particulière.
Elle souligne également que dans
sa lettre de refus d’accès, l’intimée informait
le mis-en-cause de son recours devant la CAI[5], sans
toutefois mentionner la possibilité de soumettre un grief. Il est effectivement
difficile de concilier cet avis initial et la position prise subséquemment par
l’employeur quant à l’absence de toute compétence de la CAI. Une fois de plus, cette contradiction suggère
au minimum une compétence concurrente.
La Cour d’appel étaye ensuite
son raisonnement central. D’une part, la Cour n’est pas d’avis que l’arrêt Hydro-Québec supporte la proposition
d’une compétence exclusive en la matière :
[79] Pour
nier à la CAI toute compétence en l’espèce, la Cour supérieure et la Cour du
Québec ont pris appui sur l’arrêt Hydro-Québec retenant que la Cour y aurait
établi le principe que l’arbitre de griefs a, en semblables matières, une
compétence exclusive. Je ne partage pas ce point de vue.
[80] À
la lecture du paragraphe 25 de cet arrêt, je constate que la Cour a écarté
l’idée voulant que « le législateur entendait conférer à la C.A.I. une
compétence totale et exclusive sur toute question touchant directement ou
indirectement l'accès aux renseignements nominatifs » de nature à priver
l’arbitre de griefs de toute compétence, malgré des dispositions spécifiques de
la convention collective en ces matières. Elle n’y affirme pas, cela dit, que
l’arbitre de griefs constitue le forum exclusif en toutes circonstances.
[81] Puisque la convention collective qui s’appliquait au
salarié contenait des dispositions sur la rectification des renseignements
personnels détenus par son employeur (Hydro-Québec) et que, de surcroît,
c’était elle qui prévoyait que les renseignements dont le salarié et son
syndicat demandaient le retrait étaient périmés, la Cour a conclu que l’essence
du litige en était, alors, indissociable.
D’autre
part, elle conçoit différemment la nature de la demande initiale. C’est là le
nœud du débat. Reconnaissant implicitement une compétence partagée – et non une
compétence exclusive comme le concluait initialement la CAI-, la Cour d’appel s’engage
dans l’exercice de détermination de l’essence du litige, conformément aux
enseignements de la Cour suprême. En effet, les arrêts Weber[6]
et Morin[7],
établissent l’analyse en deux étapes permettant de qualifier un litige aux fins
de l’attribution de compétence. Il s’agit d’examiner d’abord les dispositions
pertinentes (notamment celles du Code du
travail[8]
et de la convention collective en l’espèce) afin de délimiter ce qu’elles
envisagent pour ensuite s’attarder au contexte factuel et vérifier s’il s’y
insère. Cette seconde étape permet d’assurer, pour reprendre les termes de la
Cour, une adéquation optimale entre le tribunal et le litige dont il est saisi.
En
l’espèce, alors que les tribunaux de première instance s’estimaient
saisis d’une problématique de harcèlement psychologique en milieu de travail,
laquelle était prévue par les dispositions de la convention collective traitant
de santé et sécurité, la Cour d’appel y voit un litige portant strictement sur
l’accès aux renseignements :
[87] L’essence
du litige ne concerne pas l’application ou l’interprétation de la convention
collective, expressément ou implicitement, mais l’exercice d’un droit
spécifique énoncé à une loi quasi constitutionnelle qui confère à la CAI une
compétence exclusive pour trancher toute mésentente.
[88] Je
ne peux partager la conclusion voulant que l’essence du litige se rapporte à
une problématique de harcèlement. S’il y a litige, c’est parce que l’intimée a
refusé d’accorder à son salarié l’accès à un document qu’elle détient et qui
contient des renseignements personnels qui le concernent. La problématique de
harcèlement psychologique, à laquelle les parties ont mis fin définitivement
l’année précédente (en 2007), n’est rien de plus que l’occasion de la
cueillette des renseignements.
[89] Pour
identifier l’essence du litige, il n’était pas à-propos de s’en remettre, comme
l’ont fait la Cour du Québec et la Cour supérieure, au lien qui unissait les
renseignements personnels recherchés et la problématique de relation de travail
au cours de laquelle ils avaient été recueillis (harcèlement psychologique). Ce
qu’il fallait analyser c’était le lien qui existait entre ce qui opposait le
mis en cause à l’intimée (avoir accès ou non aux renseignements) et la
compétence de l’arbitre de griefs.
[Références omises]
L’intimée plaidait, subsidiairement, que la
problématique stricte d’accès aux renseignements était elle aussi envisagée par
la convention collective, plus particulièrement par les articles délimitant le
pouvoir de gérance de l’employeur. La Cour estime cette proposition douteuse et
conclut que de telles dispositions d’ordre général ne sauraient soutenir une
compétence exclusive.[9]
L’attribution de cette compétence concurrente
dépend donc des trames factuelles. Pour conclure à la compétence de l’arbitre
de griefs, il faut correctement définir la question qui lui est soumise et
s’assurer que celle-ci relève réellement de l’application ou de
l’interprétation de la convention
collective.
[1] Commission d’accès à
l’information du Québec c. Arcelormittal Montréal Inc.,
2016 QCCA 1336 (la «Décision »)
[2]
Décision, para 92
[3]
RLRQ, c. P-39.1
[4] Commission d’accès à l’information
c. Hydro-Québec, [2003] R.J.Q. 3098 (C.A.)
[6] Weber c. Ontario, [1995] 2 R.C.S. 929
[7] Québec (Commission des droits
de la personne et des droits de la jeunesse) c. Québec (Procureur général) c.
Québec [2004] 2 R.C.S. 223
[8]
RLRQ, c. C-27.
[9] Décision, para 67.
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