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Par Jean-Michel Boudreau |
Ce mercredi 19 octobre, la Cour
supérieure du Québec a rejeté sur le fond une action collective intentée contre
les Laboratoires Abbott Ltée.
Dans l’affaire Brousseau c. Laboratoires Abbott Ltée (, les demandeurs alléguaient
que le Biaxin, un antibiotique prescrit notamment pour les infections du
système respiratoire, pouvait provoquer des effets secondaires incluant la
psychose, les hallucinations et la confusion. Les demandeurs prétendaient ainsi
qu’Abbott, le manufacturier du médicament en question, avait fait défaut de
dénoncer ces effets secondaires aux consommateurs.
Les effets secondaires dont font
état les membres interrogés au procès ne sont pas banaux : une femme qui
se réveille en pleine nuit pour se taillader le poignet avec un couteau de
cuisine et qui, lors de son réveil à l’hôpital, se souvient uniquement d’avoir
voulu se préparer un sandwich aux tomates; une autre qui surprend son mari en
train de se poignarder (encore une fois avec des couteaux de cuisine), problème
qu’elle tente de régler en jetant un à un les couteaux par la porte-patio, si
bien que le premier riposte en se projetant à travers la fenêtre du salon.
Le nœud du litige se situe au niveau
de la causalité : le Biaxin représente-t-il la cause véritable des
problèmes psychiatriques dont ont souffert les témoins? Avant d’aborder
l’analyse de cette question, la juge Hardy-Lemieux rappelle que la possibilité d’un lien de causalité ne
suffit pas et que le lien de causalité doit être probable.
Or, d’un côté, les demandeurs
présentent un certain nombre de « cas » à partir desquels leurs
experts ont conclu, en employant l’algorithme de Naranjo, que la prise de
Biaxin était effectivement la cause des troubles psychiatriques éprouvés.
De l’autre, les experts de la
défenderesse affirment que la molécule de clarithromycine (nom générique du
Biaxin) ne peut franchir la barrière hémato-encéphalique et ne peut donc
pénétrer dans le cerveau. Ils en concluent que le Biaxin ne peut être la cause des
troubles psychiatriques relatés par les membres du groupe à l’audience.
Le Tribunal tranche ainsi :
[317] En effet, l’abondante littérature scientifique déposée par les experts d’Abbott convainc le Tribunal que l’utilisation de l’algorithme de Naranjo conjuguée à l’analyse de la méthode de cas ne constitue pas la méthode appropriée en l’espèce pour établir un lien de causalité.
[…]
[319] Les explications de Dr Frédéric Calon et de Dr Michell Levine convainquent le Tribunal qu’en raison du mécanisme de la barrière hémato-encéphalique du cerveau et de la taille de la molécule de clarithromycine, les possibilité que cette molécule pénètre le cerveau et induise les effets secondaires décrits par les membres du groupe, sont infimes.
[…]
[328] Le Tribunal ne peut fonder sa décision sur des coïncidences qui constitueraient, tout au plus, de faibles possibilités de causalité par rapport à la prépondérance de la preuve qui établit, de façon très probable, l’absence d’un lien de causalité.
Cette décision, si elle rappelle la
difficulté d’établir une preuve causale en matière médicale, illustre aussi l’acuité
du problème dans le cadre des actions collectives. En effet, si la casuistique,
dans un contexte médical, ne permet pas d’établir une preuve que les tribunaux
estiment prépondérante, l’importance des témoignages d’un échantillon réduit de
membre s’en trouve diminuée, si ces derniers ne sont pas également doublés d’une
preuve scientifique générale et indépendante de ces « cas » d’espèce,
et qui seule permettrait, apparemment, de trancher clairement la question sur
une base collective pour l’ensemble des membres.
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