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Par Maria Braker |
Le 22 novembre 2016, la Cour d’appel rendait trois arrêts établissant et illustrant les critères pour l’octroi de la permission d’en appeler d’un jugement autorisant l’exercice d’une action collective.
La Cour d’appel,
sous la plume du juge Chamberland, formule le test pour l’octroi de la
permission comme suit :
[59] Le juge accordera la permission de faire appel
lorsque le jugement lui paraîtra comporter à sa face même une erreur
déterminante concernant l’interprétation des conditions d’exercice de l’action
collective ou l’appréciation des faits relatifs à ces conditions, ou encore,
lorsqu’il s’agira d’un cas flagrant d’incompétence de la Cour supérieure.[1]
Le juge
Chamberland retrace d’abord l’historique législatif de ce droit d’appel. Il
faut savoir qu’avant la réforme de 2016 du Code
de procédure civile, le défendeur ne pouvait pas faire appel du jugement
autorisant l’exercice du recours collectif. Le requérant à qui l’exercice d’un
recours collectif avait été refusé avait, pour sa part, un droit d’appel de
plein droit.
Or, le nouvel
article 578 n.C.p.c. prévoit un droit
d’appel pour le défendeur, bien que sur permission. Cet article est ainsi
libellé:
578. Le
jugement qui autorise l’exercice de l’action collective n’est sujet à appel que
sur permission d’un juge de la Cour d’appel. Celui qui refuse l’autorisation
est sujet à appel de plein droit par le demandeur ou, avec la permission d’un
juge de la Cour d’appel, par un membre du groupe pour le compte duquel la
demande d’autorisation a été présentée.
L’appel est instruit et jugé en priorité.
Le juge
Chamberland décrit ce changement législatif dans les termes suivants :
[53] Bien que l’asymétrie demeure – appel de
plein droit pour l’un, appel sur permission pour l’autre –, l’objectif du
législateur semble donc de rééquilibrer les droits des parties tout en
maintenant un certain contrôle sur l’appel.
Se penchant
d’avantage sur les différents tests possibles pour l’octroi de la permission
d’appel de l’article 578 n.C.p.c., le
juge Chamberland conclut que les critères applicables ne devraient être ni ceux de
l’article 30 al. 2 n.C.p.c.
(énumération de huit jugements qui mettent fin à une instance et dont l’appel
est tout de même assujetti à une permission), ni ceux de l’article 31 n.C.p.c. (jugements rendus en cours d’instance), ni
ceux de l’article 32 n.C.p.c. (mesures de gestion
relatives au déroulement de l’instance).
Selon le juge
Chamberland, l’article 578 n.C.p.c. commande
l’aménagement d’un test qui lui est propre.
Après avoir
analysé l’intention du législateur liée à un droit d’appel asymétrique, le juge
Chamberland détermine que l’appel sur permission doit être réservé aux cas exceptionnels.
Il élabore donc le
test cité au début de ce billet, remarquant que ce test n’est pas indument
souple, et permet d’éviter le gaspillage des ressources en cas d’une action
collective fondée sur une base erronée :
[60] Ce test est fidèle à l’ intention du
législateur voulant que l’appel ne porte que sur les conditions d’exercice de
l’action collective. Il est de nature à écarter les appels inutiles ou ne
portant que sur des éléments accessoires, sans incidence sur l’autorisation
d’exercer l’action collective. Il est respectueux de la discrétion du juge qui
a autorisé l’action collective. Il n’est pas à ce point souple qu’il
alourdirait indirectement le fardeau de ceux qui cherchent à exercer une action
collective et à la mener à terme dans des délais raisonnables. Il permet aussi
d’assurer qu’une action collective ne procède pas sur une base erronée, évitant
ainsi aux parties d’être entrainées dans un débat judiciaire, long et coûteux.
Appliquant le
nouveau test, la Cour d’appel rejette les requêtes pour permission d’appeler dans
les trois affaires dont elle était saisie, estimant que les jugements de
première instance ne contiennent pas d’erreur déterminante concernant
l’interprétation des conditions d’exercice de l’action collective.
Dans l’affaire Centrale des syndicats du Québec c. Allen,
il était question de l’éclosion de légionellose dans la région de Québec entre
les mois de juillet et octobre 2012.
La Cour est d’avis
que la demanderesse pouvait légitimement soulever la commission d’une faute par
la Centrale des syndicats du Québec, propriétaire de l’immeuble, dont les tours
de refroidissement, où la légionellose se serait développée.
La Cour tranche qu’il
y avait également suffisamment d’éléments allégués contre le Centre intégré
universitaire de santé et services sociaux de la Capitale nationale et de son
directeur, responsables de gestion de santé publique.
En ce qui concerne
la Procureure générale du Québec, qui soulevait une immunité législative sans
que cette dernière ne soit claire et expresse, la Cour estime qu’il convenait
de réserver au juge du fond le soin de trancher cette question
Dans l’affaire Énergie éolienne des Moulins, s.e.c. c.
Labranche, il était question de la responsabilité civile et des troubles de
voisinage découlant de la construction et de l’exploitation d’un parc éolien de
59 éoliennes reparties sur un vaste territoire.
La Cour considère
qu’à sa face même, le fait qu’il y ait une multitude de sources de troubles de
voisinage, plutôt qu’une seule source, ne constitue pas un obstacle fatal à
l’exercice d’une action collective.
En ce qui concerne
les arguments avancés par Hydro-Québec, la Cour décide que l’importante valeur
des réclamations individuelles ne suffit pas pour écarter la possibilité d’une
action collective.
Finalement, dans
l’affaire DuProprio inc. c. Fédération
des chambres immobilières du Québec (FCIQ), il était question des
publicités et commentaires faits à propos des services offerts par les
courtiers immobiliers et des frais qui sont associés à ces services.
La Cour d’appel
énonce que l’injonction est une voie de redressement efficace pour résoudre un
problème de publicité déloyale et que rien n’empêche qu’une action collective
soit de nature purement injonctive.
Pour les avocats
en défense désirant porter en appel un jugement autorisant l’exercice d’une
action collective, il ressort donc des enseignements de la Cour d’appel dans
ces trois arrêts que, bien qu’il soit désormais possible de tenter d’obtenir la
permission pour un tel appel, la barre demeure très haute.
[1] Centrale des syndicats du
Québec c. Allen, 2016 QCCA 1878 par. 59, Énergie éolienne des Moulins, s.e.c. c. Labranche, 2016 QCCA 1879,
par. 8, DuProprio inc. c. Fédération des
chambres immobilières du Québec (FCIQ), 2016 QCCA 1880, par. 7;
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