Dans un jugement rendu le 1er février 2016 dans
l’affaire Guérette c. Carbonneau, 2016 QCCS 351, l’honorable Simon
Ruel, j.c.s., refuse la production d’une expertise additionnelle par la
demanderesse, après le dépôt de sa déclaration de dossier complet (art. 274.1
de l’ancien C.p.c.), pour les motifs suivants :
a) Les défendeurs sont pris par surprise puisque
l’expertise n’a jamais été annoncée auparavant;
b) L’expertise en question serait probablement
irrecevable en ce qu’elle n’est pas nécessaire pour éclairer le Tribunal mais
tend plutôt à usurper le rôle du juge;
c) La production d’une expertise additionnelle à ce
stade ne respecterait pas le principe de proportionnalité.
L’article 293 C.p.c. dispose :
293. Le rapport de l'expert tient lieu de son
témoignage. Pour être recevable, il doit avoir été communiqué aux parties et
versé au dossier dans les délais prescrits pour la communication et la
production de la preuve. Autrement, il ne peut être reçu que s'il a été mis à
la disposition des parties par un autre moyen en temps opportun pour permettre
à celles-ci de réagir et de vérifier si la présence du témoin serait utile. Il
peut toutefois être reçu hors ces délais avec la permission du tribunal.
En l’espèce, si le Tribunal invoque trois motifs distincts pour refuser
d’exercer sa discrétion en vertu de l’article 293 C.p.c., le motif fondé sur
la proportionnalité est particulièrement intéressant. Le juge Ruel s’exprime
ainsi :
[26] À tout événement, le Tribunal juge que la
production du rapport du Dr. Auger à ce stade ne respecte pas le principe de
proportionnalité.
[27] Selon l’article 158 du nouveau Code de procédure civile, le Tribunal
doit veiller au respect du principe de proportionnalité à toutes les étapes de
l’instance, ce qui comprend l’évaluation de l’objet et de la pertinence des
expertises.
[28] La demanderesse a déjà annoncé cinq
experts dans diverses disciplines.
[29] Les rapports du Dr. Auger et de la firme
Analyse Exp-Air visent substantiellement le même objet, soit l’urgence ou non
de procéder à des travaux compte tenu de la présence de moisissures ou d’agents
microbiens dans l’immeuble.
[30] Les montants en cause et la nature du
dossier ne justifient donc pas la production d’une sixième expertise en demande
sur un enjeu déjà couvert.
[31] La production de l’expertise du Dr. Auger
à ce stade forcerait toutes les parties impliquées à se positionner et à
requérir la production de contre-expertises médicales.
[32] Des délais et des coûts seraient
occasionnés pour toutes les parties dans un dossier ayant déjà pris des
proportions importantes.
Notons également, bien que le jugement n’en fasse pas mention, que la
multiplication des expertises semble contraire tant à l’esprit qu’à la lettre
du nouveau C.p.c., comme en témoigne notamment le dernier alinéa de
l’article 232 C.p.c. :
232. Les parties conviennent de la nécessité de
l'expertise dans le protocole de l'instance ou, avec l'autorisation du
tribunal, en tout temps avant la mise en état du dossier.
Qu'elle soit commune ou non, les parties ne peuvent
se prévaloir de plus d'une expertise par discipline ou matière, à moins que le
tribunal ne l'autorise en raison de la complexité ou de l'importance de
l'affaire ou du développement des connaissances dans la discipline ou la
matière concernée. (nous soulignons)
On ne saurait se risquer à affirmer, sur la base d’une seule décision,
que les tribunaux se montreront plus réticents, sous l’empire du nouveau C.p.c.,
à permettre la production tardive des rapports d’expertises. Néanmoins, le
principe de proportionnalité pourrait venir limiter la possibilité pour les
parties de produire des expertises supplémentaires, surtout lorsque de telles
expertises sont annoncées pour la première fois après la mise en état du
dossier.
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